Dur réveil [Libre]

Vraiment, vraiment, trés fatigué ce matin-là. Enfin matin, matin, c'était vite dit. Il devait être en fait près de treize heures et tous se ruaient présentement au dehors, où le temps bien que brumeux et froid semblait s'être décidé pour l'ensoleillement. Un ensoleillement timide, mais un ensoleillement quand même. Tous ? non, pas tous... Un homme, cheveux noirs de jais assez longs, au visage un peu dur et aux yeux plutôt sombres, les traits visiblement tirés par la fatigue, semblait traîner encore dans la chambre qu'il avait louée pour la nuit. Une chambre bien miteuse, il devait l'avouer, dans une auberge tout aussi miteuse, voire fort louche quand on observait plus attentivement l'air patibulaire de la majorité des clients de cette auberge. Mais une chambre d'auberge qui avait au moins le mérite de lui avoir permis une halte sans passer une nuit à la belle étoile et un endroit où passer un tant soit peu inaperçu.

Bref, passons. Auberge lui ayant offert une halte et un lit pour une nuit, ou pas, il n'avait pourtant que peu dormi cette nuit-là et se sentait quelque peu fiévreux. Encore une de ces crises habituelles ? Possible, allez savoir. Pourtant il était persuadé de n'avoir rien mangé de contre-indiqué pour lui. Mais allez savoir, il ne répondait plus de rien quand il s'agissait de son organisme, ce dernier ayant visiblement décidé de n'en faire qu'à sa tête depuis quelque temps. Il était donc fatigué, disions-nous. Fatigué, à tel point qu'il se trainait, et laissait pour l'heure son regard errer dans le vague devant le miroir plus que piqueté de la petite chambre. Il pouvait apercevoir les gouttes humides couler le long des traits abruptes de son visage, après s'être aspergé ce dernier d'eau glacée, dans le vain espoir de se rafraichir et de se réveiller un peu. Et alors qu'il se relevait lentement, affrontant, non sans un mouvement de presque surprise, son reflet dans le miroir, il entendit celui-ci lui lancer en plein face :

- T'as une sale g****

Ce à quoi il eut envie de répondre, de son ton hargneux habituel : "qu'est-ce qu'elle a ma g***". Mais, en entendant des pas dans le couloir, à travers le bois de la porte de sa chambre, il reprit et ses esprits et sa contenance habituelle. Il préféra donc ravaler sa réplique, se contentant de fusiller le miroir du regard. Puis, s'essuyant rapidement le visage avec un linge assez propre qu'on avait mis à sa disposition, en prenant soin de jeter ensuite ledit linge sur le miroir comme pour mieux marquer son mécontentement envers ce dernier, il se décida enfin à quitter la petite pièce. Mais pas encore l'auberge. Elle ne semblait certes peu encline à lui servir un festin, mais il pensait quand même pouvoir trouver de quoi faire un petit déjeuner convenable. Du moins de quoi remplir son estomac pour reprendre dignement le peu de route qui lui restait, et éventuellement boire de quoi le réveiller plus vivement.

C'est ainsi qu'il s'assit à une table, faisant signe à l'aubergiste de lui apporter de quoi le sustenter, et attendit, le regard dans le vague, qu'on le serve. Perdu dans ses pensées, c'est à peine s'il entendit alors la voix qui s'adressait à lui, d'un ton étrange, presque timide.

» Prière (libre)